Bottega Veneta se retire des réseaux sociaux
Disparition de Bottega Veneta des réseaux sociaux : quelle stratégie pour la maison de luxe ?
Alors que l’année 2020 a accéléré le processus de digitalisation des marques de mode de luxe, tant du point de vue de la communication sur les réseaux sociaux que du développement de leur e-commerce en propre, et que les maisons de mode de luxe rivalisent de créativité digitale, la marque italienne Bottega Venetta a brusquement disparu d’Instagram, de Facebook et de Twitter le mardi 5 janvier.
La maison n’a pas communiqué sur les raisons de son abandon des réseaux sociaux, semant la surprise et la consternation parmi les fans de la marque et laissant place aux conjectures des observateurs sur la stratégie disruptive de Bottega Veneta, ainsi qu’aux spéculations sur le caractère définitif ou temporaire de cette disparition digitale.
Une disparition surprenante
Une telle décision peut sembler d’autant plus déroutante, que l’analyse de la stratégie marketing cross-channel de Bottega Veneta publiée début janvier 2020 par Launchmetrics révélait que le troisième pourcentage de MIV (Media Impact Value) le plus élevé de la marque provenait d’Instagram (après les media en ligne et les magazines imprimés ).
D’après Launchmetrics, Heuritech et Tagwalk, les plateformes de référence en termes d’analyse de répercussion numérique des marques de mode, le MIV de Bottega Veneta sur Instagram n’ a fait que s’accroitre avec la présentation de la collection Fall 2020 de la marque en février et la prolifération de posts d’influenceurs ou de comptes de fans (dont @newbottega qui réunit à ce jour 354 K de followers, ce qui en fait le premier compte fan d’une marque de mode de luxe sur Instagram) mettant en scène les accessoires emblématiques de la marque (Pouch bag, Tire boots, sandales à bouts carrés, ..) pendant le confinement.
Cette déconnexion intervient quelques semaines après la diffusion du film présentant sa collection Spring 2021 sur le website de la marque.
Elle fait également suite à deux années et demi d’ascension fulgurante de Daniel Lee depuis sa nomination à la tête de la direction artistique de la maison italienne en juin 2018 : son encensement par la critique, son triomphe aux Fashion Awards en décembre 2019 et les performances record de la marque en 2020 (augmentation du chiffre d’affaires de 20,7% en comparable à 332,5 millions d’Euros et avec une croissance à trois chiffres pour les ventes en ligne).
Une stratégie cohérente
Cette décision d’apparence étonnante ne l’est pourtant pas autant que cela si l’on considère à la fois le profil de Daniel Lee, l’histoire et la culture de marque de Bottega Veneta ainsi que la statégie marketing développée par la filiale du groupe Kering depuis mi-2020.
Alors que la pandémie mondiale a eu pour effet collatéral une augmentation du temps passé sur les écrans, le temps passé sur le réseaux sociaux et les recherches sur internet ont subi une forte inflation, dont a notamment beaucoup bénéficié Bottega Veneta.
Ainsi le dernier Index Lyst disponible, qui classe trimestriellement les marques et les articles les plus populaires sur internet, établit que Bottega Veneta était la neuvième marque la plus populaire pour le troisième trimestre 2020, alors qu’elle ne figurait même pas dans la liste des vingts marques au premier trimestre 2019. En termes de produit, la Tire Boot de Bottega Veneta était le quatrième article de mode féminine le plus populaire de juillet à septembre 2020.
Mais cette surexposition liée au succès phénoménal des créations de Daniel Lee pour Bottega Veneta est-elle compatible et cohérente avec l’identité et la culture de la marque ainsi que sa stratégie de développement ?
Créée en 1966, Bottega Veneta est une maison de maroquinerie dont les produits sont reconnus pour leur qualité, leur raffinement et leur sobriété. Après son rachat par Kering en 2001, permettant un élargissement de l’offre au prêt-à-porter sous la direction artistique de Thomas Maier, la maison reste fidèle à ses principes.
Ainsi, en 2003, Thomas Maier établit le prolongement stratégique de l’esprit de Bottega Veneta : il prône un retour au luxe essentiel, fondé un savoir-faire d’excellence, l’innovation, la fonctionnalité et la très grande qualité des matériaux. Totalement à contre-courant de la mode « bling » et « logotypée » de l’époque, il fait disparaître le logo.
Daniel Lee, qui a travaillé auprès de Phoebe Philo chez Céline, est totalement en phase avec cet esprit de luxe discret et raffiné. Et, comme Phoebe Philo, il est plutôt réticent à l’égard du digital même s’il en intègre parfaitement les enjeux, comme il le révélait dans une interview pour Vogue en 2018.
En cohérence avec son identité de marque, Bottega Veneta aspire à une communication plus en phase avec ses propres codes du luxe et non ceux imposés par le marché.
Cette maitrise plus rigoureuse de son marketing et se son image se manifeste par une première expérience en retail avec la création d’un magasin éphémère invisible en juillet 2020 à Shanghaï.
Au cœur du centre commercial Plaza 66, les 100 m2 dévolus à Bottega Veneta sont installés dans un cube dont les murs et le toit sont dotés de miroirs, se fond dans son environnement. Aucun logo, aucun signe distinctif. Seul les produits sont exposés, offrant une expérience d’achat unique aux clients.
Ce recentrage sur l’essentiel du luxe selon Bottega Veneta s’exprime ensuite dans la présentation de sa dernière collection, dénommée Salon 01 en hommage aux anciennes présentations de Haute Couture. Le défilé, privé et tenu secret, a eu lieu dans un théâtre Londonien en octobre avant que le film réalisé à cette occasion par Tyrone Lebon ne soit rendu public en décembre sur le site de la marque.
Pour ancrer son travail sur cette collection dans la dimension matérielle, Daniel Lee publie trois livres permettant aux lecteurs de découvrir ses influences et son processus créatif.
Recentrage sur l’essence du luxe et nouvelle ère digitale
Il n’est finalement pas étonnant que cet exercice de recentrage aboutisse à une rupture digitale, qui – même si elle n’est que temporaire -,permettra d’éviter à la marque surexposition et saturation, sans nuire à sa présence digitale du fait de profils de fans ou d’influenceurs et de sa couverture par les media en ligne.
Sans compter l’impact médiatique de cette déconnexion brutale et certainement bientôt une approche nouvelle et créative de la relation de la marque aux réseaux sociaux….
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